Par rapport aux plus nouvelles investigations, on estime que 82% des cours d’eau montrealais auraient disparu de la carte urbaine.

Par rapport aux plus nouvelles investigations, on estime que 82% des cours d’eau montrealais auraient disparu de la carte urbaine.

Mes rares plans d’eau survivants aujourd’hui seront situes aux extremites de l’ile, dans des secteurs moins habites et composes de boises.

Notre ruisseau De Montigny fera partie de votre groupe. Lire la suite >

Skawanoti

A Andree Kwe’dokye’s, sa voix flotte sur l’eau

Constamment, je marche pres d’elle. Ses eaux m’emportent, franchissent le barrage, se melent a celles du fleuve, refluent au rythme des marees, se chargent de sel, ainsi, puis, en bout de course, se jettent dans l’ocean qui me manque tellement.

Son calme delie mon souffle, sa fluidite me grise, sous ma peau ses vagues frissonnent. Sans une presence liquide a les cotes, je m’etiole.

Un jour, ca devait etre au debut du 17 e siecle, un trafiquant de fourrures s’est aventure dans la riviere en arriere de l’ile de Montreal. Man?uvrer entre les rapides, c’etait nouvelle chose que de mener sa barque entre les recifs en cote bretonne – il etait natif de St-Malo, dit-on – mais il a fini via s’egarer malgre bien parmi les nombreuses iles[1]. Peut-etre cherchait-il la crique ou Jacques Cartier avait aborde deux annees plus tot, avant de remonter un ruisseau jusqu’au mont au c?ur de l’ile – une crique portant depuis lors le nom d’la cite corsaire ? Toujours est-il qu’apres avoir raconte sa mesaventure a Samuel de Champlain, qui ne manquait nullement une occasion d’inventer des toponymes, le sieur des Prairies s’est vu associe de maniere indefectible a une telle riviere qui charrie les sediments en riviere des Outaouais.

Connaissait-il seulement le nom une riviere concernant laquelle y naviguait? L’histoire ne le evoque jamais, l’oubli a fait le ?uvre, les sediments ont recouvert le nom d’avant, d’une rive a l’autre, d’un siecle a l’autre. C’est temps de delier « la langue endormie[2] », avant que s’enfuient definitivement les paroles evanescentes, avant que disparaissent les bribes des temps immemoriaux.

Skawanoti, c’est votre nom qu’on murmure en marchant, 1 nom qu’il suffit de prononcer pour que de longs canots wendat surgissent des flots, un nom que l’on crie d’une embarcation a l’autre pour indiquer le chemin, votre chemin d’eau « en arriere de l’ile », un nom que l’on se transmet pour designer une telle riviere decidement etroite en comparaison avec le fleuve de Hochelaga, dont des belles eaux limpides baignent les rives de l’autre cote. Fait Afin de naviguer, le toponyme reste un moyen de se reperer dans la vallee, il n’est jamais d’usage d’associer le nom d’un homme a votre cours d’eau ou a une montagne. Face a de tels points, creusant ou plissant la terre depuis des millenaires, l’etre humain ne fait nullement le gabarit!

Il faut juste fouiller un peu parmi les sediments, de revenir les pierres au fond d’une riviere, pour tomber sur des histoires d’embarcations qui chavirent, emportees par des rapides. Si l’on en croit le nom qui lui avait ete donne, Ahuntsic (ou plus vraisemblablement Auhaitsique, impossible de connaitre la veritable prononciation, qui s’est perdue en cours de route[3]), il etait « petit, vif et fretillant » tel votre poisson. Malheureusement il a fini via rejoindre au fond de l’eau les poissons auxquels il ressemblait. Qui etait-il au juste, votre petit garcon qui accompagnait le pere recollet Nicolas Viel, s’en revenant apres un sejour de deux ans chez les Hurons-Wendats dans la baie Georgienne? Tous s’accordent pour le presenter tel un truchement, l’equivalent nord-americain du drogman, l’interprete que les voyageurs employaient a un arrivee en Orient. Deux noms issus de la racine arabe tarjaman, qui signifie « traduire », mais voila que je m’egare entre les mots qui voyagent d’un continent a l’autre et ayant fini par s’ancrer a Notre croisee des langues. Comment se fait-il que le nom d’origine de votre petit garcon, nomme Ahuntsic via sa communaute d’adoption, ne soit jamais mentionne au sein des documents anciens? L’integralite des autres truchements dont l’histoire a garde la trace paraissent connus avec leurs deux noms, le nom francais et le nom autochtone[4].

Peut-etre faut-il creuser un brin plus, soulever d’autres pierres au fond en riviere. Apres que les rapides ont englouti le canot ou se trouvaient le missionnaire et le jeune homme, une legende a transforme le recollet en martyr, l’accident a pris les traits d’un assassinat premedite et l’opprobre fut jete sur les Autochtones, les « mechants Hurons », les « barbares » responsables d’la mort de ces deux hommes. Le premier village installe au nord de l’ile, le Sault-au-Recollet, a veille a honorer la memoire de votre martyr qui n’en etait nullement 1. Par la suite, l’arrondissement Ahuntsic a commande le relais, en perpetuant l’image d’un petit Francais ayant vecu quelque temps libre chez les Hurons. Gravees dans la pierre, les inscriptions sur le socle des statues erigees devant l’eglise en Visitation continuent a alimenter ce mythe tenace. Pourtant, la these de l’accident fait dorenavant l’unanimite parmi les chercheurs et l’identite d’Ahuntsic reste desormais remise proprement dit : ne s’agissait-il jamais tout seulement d’un jeune Wendat que le recollet avait decide de ramener avec lui a Quebec pour le convertir? Ne fallait-il jamais lui inventer une autre origine, le franciser a tout prix, pour rendre l’histoire plus coherente? Impossible de savoir cela s’est vraiment passe. Meme si on meilleurs sites web de rencontres catholiques retournait chacune des pierres une riviere, on se heurterait a 1 mystere insondable, a une ambiguite persistante, a l’image du poisson qui fretille et qui ne se laisse pas saisir. Mais claque de remuer les sediments accumules change notre regard sur la riviere, i  propos des communautes qui l’ont parcourue et qui la parcourent bien, sur nos relations avec l’eau vive. C’est moment de biffer les injures incrustees dans la pierre afin de soulager les blessures et de liberer la memoire des mensonges qui l’entravent. Cela reste moment de reecrire l’histoire des file d’eau et des rives, ces chemins qui nous gardent en life.

Un jour je me tremperai des pieds dans l’eau en riviere, je cotoierai les aloses et les bernaches qui circulent d’un bord a l’autre, j’attendrai 1 canot, ou une barque, Afin de traverser, ou Afin de errer entre des iles. Cela y aura des voix aigues d’enfants ou des voix usees, douces ou eraillees. Et parmi elles j’entendrai le nom d’avant, Skawanoti, bruisser au milieu des saules.

[1] Voir le blog d’une Commission de toponymie.

[2] Andree Kwe’dokye’s, citee au sein d’ R. Bouvet, « Kabir Kouba, apres mille detours », dans Julien Bourbeau et al. (dir.), En sentinelle dans les meandres une Saint-Charles, Montreal, J’ai Traversee-Atelier de geopoetique, coll. « Carnets de navigation », no 14, 2016, p. 39.

[3] Voir le Repertoire du patrimoine culturel du Quebec :